Les savoirs secrets de David Hockney

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Avez-vous déjà entendu parler du célèbre livre très controversé de l’artiste David Hockney : »Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens » publié en 2001 ?
Eh bien, ce sera le sujet de cet article.


Après avoir lu cet article, vous ne regarderez plus jamais les œuvres des maitres anciens de la même façon
!
🏁 C’est parti.

Un pan de la peinture européenne revue par David Hockney

Les savoirs Secrets de David Hockney : livre

C’est avant tout un beau livre !
Un pan de la peinture européenne qui défile sous nos yeux : Giotto, Pisanello, Cranach l’Ancien, Van Eyck, da Messina, Dürer, de Vinci, Holbein, della Francesca, Giorgione, Van Dyck, Vermeer, Lotto, de La Tour, Vélasquez, le Caravage, et puis Chardin, Ingres, Cézanne, Van Gogh, Warhol… ou David Hockney, s’incluant dans ce panorama affiché au grand mur de son studio, à Los Angeles, où il a commencé, en février 2000, à épingler des photocopies couleur, pour obtenir, d’un seul coup d’œil, une « vue d’ensemble de l’art occidental », de Giotto à Van Gogh.
Pourquoi ? Hockney expose ici une fulgurante intuition.

Janvier 1999.
Ce grand dessinateur qu’est David Hockney visite l’exposition des dessins d’Ingres à la National Gallery de Londres.
Ils sont assez petits, incroyablement précis, réalisés très vite.
« Comment est-ce qu’il a fait ? » Premier rapprochement : un dessin de Warhol, réalisé avec un projecteur.


Retour à Ingres : à regarder de plus près le Portrait de Mme Louis-François Godinot (1829), des distorsions apparaissent entre la tête, trop grosse, et le reste du corps et des vêtements. Pourtant, aucune hésitation, le trait est net, aucune retouche.

Et si Ingres s’était servi d’une chambre claire, instrument inventé peu avant, en 1806-1807 ?
Le déplacement de l’instrument, une fois la tête réalisée, expliquerait la distorsion.

Les savoirs Secrets de David Hockney : comparaison Ingres

Un entretien de David Hockney avec son ami, le critique d’art Lawrence Weschler, montre que c’est à partir d’Ingres qu’il va remonter toute l’histoire de la peinture.
Entamant un dialogue fécond avec les plus grands historiens de l’art, il accumule du matériau. Il se procure lui-même une chambre claire.

Les savoirs Secrets de David Hockney : chambre claire
Chambre Claire à dessin.



Les historiens sont d’abord sceptiques (comme John Walsh, directeur du Getty Museum), puis intéressés, enfin séduits, tel Martin Kemp, professeur à Oxford et auteur d’un livre sur l’optique dans les arts visuels.
Un spécialiste de l’optique, Charles Falco, vient en renfort.

David Hockney dévore l’Art du portrait, de Norbert Schneider, où il puise des confirmations.
Sur fond d’histoire de l’art considérée comme un roman policier, on assiste à la germination d’une idée. Il songe à écrire un livre pour consigner, preuves à l’appui (par l’image, par les textes théoriques, par la correspondance), le résultat de ses recherches.

Une nouvelle précision


L’hypothèse de base remonte à l’apparition, vers la première moitié du XVI siècle, d’une nouvelle précision dans le rendu des traits du visage, des plis des vêtements, le dessin des étoffes ou des tapis.
Il suffit de comparer des sujets voisins : un portrait de Lucas Cranach l’Ancien (1515) et un autre de Giovanni Battista Moroni (1560), une armure d’Andréa Mantegna (vers 1460) et une autre de Giorgione (1501), ou encore un portrait de pape comparé, l’un de Melozzo da Forli (vers 1475), l’autre de Raphaël, celui de Léon X (1518-1519), qui stupéfia les contemporains par sa précision quasi photographique.

À l’évidence, quelque chose s’est passé autour de ces années-là.
David Hockney ne voit pas d’autre explication que l’utilisation d’instruments optiques : lentilles, miroirs ou chambres claires.

Regardez bien le pape : dans sa main gauche, il tient une lentille ou une loupe.
Les miroirs concaves n’apparaissent-ils pas explicitement dans certains tableaux célèbres, comme les Époux Arnolfini, de Van Eyck ?

L’inspecteur Hockney ne s’arrête pas là.
Auscultant en regard le Portrait d’un couple marié, de Lotto (1543), et le Portrait du marchand Georg Gisze, de Hans Holbein le Jeune (1532), il remarque un brusque changement de perspective dans le motif d’un tapis d’Orient présent dans les deux tableaux : ce décrochement est le signe d’un déplacement de la lentille pour rendre le premier, puis l’arrière-plan.

Comme plus tard chez Ingres.
S’esquisse un nouveau traitement de l’espace, qui défie la perspective mathématique traditionnelle et le point de fuite unique.
Sur le bord du tapis, chez Holbein, les objets (surtout la boite en fer remplie de pièces) ont l’air de tomber.
On dirait qu’ils sont vus de haut : impossible perspective, qui contredit le reste.
Ce curieux objet cylindrique ne serait-il pas un télescope de Newton, une chambre obscure en miniature ?

David Hockney se fabrique bientôt une chambre obscure, cet ancêtre de la photographie qui semble informer la disposition optique des tableaux du Caravage, de La Tour, Wright of Derby, ou autres Canaletto – dont on sait qu’il se servait d’un tel instrument.

Une grande quantité de buveurs gauchers…

Autres énigmes.
Pourquoi, vers la fin du XV siècle, ces œuvres, sont « soudainement peuplées d’une grande quantité de buveurs gauchers », comme chez le Caravage, Carrache ou Hais ?
Était-il alors concevable d’élire, avec Léon X, un pape gaucher, côté qui portait malheur ? Sinon parce que l’image initiale a été inversée par une lentille !

Pourquoi l’utilisation par le Caravage d’une nappe blanche pour son Repas à Emmaûs (1596-1601), si ce n’est pour éviter, par rapport à Lotto ou Holbein, la difficulté d’un raccord ?
Comment ces fruits et légumes ont-ils pu supporter les longues séances de pose sous la chaleur, dans une nature morte espagnole de Juan Sânchez Cotân (1602), si ce n’est parce qu’ils ont été rapidement « croqués » par la lentille d’une chambre claire ?
Temps du regard, temps de la création se rejoignent.

David Hockney ne voit-il pas des lentilles partout ?

On soulignera le manque quasi total de témoignages – par les peintres, par leurs modèles, par les inventaires – attestant l’utilisation de ces instruments.
Il répond que ces secrets de fabrication étaient bien gardés.
Mais, il faut avouer que son raisonnement est souvent collatéral.

Le Caravage possédait-il une lentille ?
Celle-ci lui aurait été offerte, dit-il, par son mécène, le cardinal Del Monte, qui avait conseillé Galilée pour l’aider à améliorer son télescope : le fil est un peu ténu.
La présence d’une lentille dans la main gauche du pape Léon X suffit-elle à attester l’utilisation par Raphaël d’un tel instrument pour son tableau ?
Certains commentaires sur les peintures relèvent de la naïveté ou de la tautologie, et sentent l’ardeur du récent converti.

Voir des instruments d’optique partout tend également à minimiser le talent individuel au profit de la seule technique – mais David Hockney en est parfaitement conscient, pour qui ces instruments sont d’un usage difficile et ne sauraient remplacer le geste premier de la main humaine.

Un schéma évolutif lumineux

Il faut replacer les découvertes récentes du plus grand peintre anglais vivant dans une perspective plus vaste.

D’abord, celle de l’évolution de la peinture occidentale au rythme contrasté des inventions techniques, depuis la photographie – contre laquelle, en réaction, les impressionnistes, puis les cubistes, revendiqueront le retour du flou artistique, de l’imprécision et de la « maladresse » – jusqu’à la révolution informatique des images.

Le schéma évolutif, dessiné par David Hockney, est lumineux.

Ensuite, celle de l’artiste lui-même, qui, depuis les années soixante-dix, n’a cessé d’innover dans ses techniques, explorant la photographie avec ses photo-collages d’inspiration cubiste, ni de théoriser sa pratique en réfléchissant constamment sur la perspective (5) : ses réflexions actuelles sur l’optique s’inscrivent dans une parfaite cohérence.

Ce va-et-vient permanent entre pratique et théorie fait de lui l’artiste incomparable d’une Renaissance moderne : «ce génial étudiant de la magie technique (Weschler)» est aussi un «penseur futé (Walsh)» qui innove et dérange, lui dont le regard aigu décape, depuis le Nouveau Monde où il s’est installé depuis près de quarante ans, notre regard sur la peinture de l’Ancien Monde au point de le métamorphoser.

Passionnant n’est-ce pas ?
Dites-moi ce que vous en avez pensé dans les commentaires !

🎨 À bientôt pour la suite !
Joanaa

Sources (Jean-Pierre Naugrette)

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Cet article a 3 commentaires

  1. Jean-Michel Desterke

    Merci pour cet article instructif qui donne envie de lire le livre et nous donne des idées pour l hyper réalisme

  2. Thouilly

    Un excellent article à propos d un livre non moins excellent !

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