Le Caravage : la vie sulfureuse d’un peintre Criminel

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Le Caravage, peintre de Génie, pionnier du Clair-Obscur et du Ténébrisme Baroque.
Qui Ă©tait vraiment ce personnage sulfureux, au casier judiciaire bien rempli ?
Bienvenue dans la vie du Caravage.

Qui Ă©tait vraiment Le Caravage ?

Une thĂ©rapie pour apprendre Ă  maitriser sa colĂšre : voilĂ  quelque chose dont le peintre Le Caravage aurait bien eu besoin !
Cet homme enchainait bagarre sur bagarre. Il ne pouvait pas s’empĂȘcher de provoquer ou d’agresser les gens. Sachant qu’il se promenait armĂ© jusqu’aux dents, le rĂ©sultat Ă©tait souvent sordide et a mĂȘme au moins une fois, Ă©tĂ© fatal.

En effet, Michelangelo Merisi da Caravagio fut condamné pour meurtre.
D’autres artistes ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© des individus peu frĂ©quentables – et certains Ă©taient surement dĂ©rangĂ©s, maniaques ou imbuvables – mais seul le peintre Caravage a tuĂ© quelqu’un.

Au-delĂ  de ce drame, cet artiste hors normes a crĂ©Ă© des Ɠuvres aussi puissantes que spectaculaires qui ont apportĂ© une nouvelle Ă©motion Ă  des thĂšmes religieux usĂ©s.
Heureusement pour lui, son talent a fascinĂ© des mĂ©cĂšnes assez haut placĂ©s pour le tirer d’affaire Ă  plusieurs reprises. Mais, au final, mĂȘme ses plus grands admirateurs n’ont pu le sauver de lui-mĂȘme.

Le Caravage, les origines


Michelangelo Merisi
vient d’une famille italienne modeste, mais qui avait des relations.
Son pĂšre travaille comme majordome chez Franscesco Sforza, marquis de Carravagio, commune italienne de la province de Bergame en Lombardie (d’oĂč le nom de l’artiste).
Le Caravage passe sa petite enfance dans le luxueux foyer des Sforza Ă  Milan.

Tout change quand la peste ravage la Lombardie et emporte son oncle, son grand-pĂšre et son pĂšre dans la mĂȘme journĂ©e. Le petit Michelangelo n’a alors que 6 ans.

À l’ñge de 11 ans, en 1584, aprĂšs avoir passĂ© le reste de son enfance dans sa ville natale, Le Caravage entre en apprentissage chez un peintre milanais. On ignore dans quelles circonstances cela s’est terminĂ©.
On ne sait rien non plus, des 4 années qui suivront puis, soudain, Le Caravage réapparait à Rome, totalement sur la paille.

Portrait du peintre Le Caravage
Ottavio Leoni, Portrait du Caravage (Michelangelo Merisi dit il Caravaggio), vers 1621


On sait ensuite, que Le Caravage travaille Ă  Rome. Il est employĂ© chez un peintre de second ordre pour rĂ©aliser 3 portraits par jour, jusqu’à ce qu’il trouve le temps et l’argent nĂ©cessaire pour peindre ses propres tableaux.
Certains d’entre eux sont des autoportraits, d’autres ont pour thùmes les rues et les bordels de Rome.

Les tricheurs, par exemple, montre une scĂšne Ă  laquelle l’artiste Ă  probablement assistĂ© des dizaines de fois : un jeune homme riche et naĂŻf se faisant plumer par deux tricheurs expĂ©rimentĂ©s.

Le Caravage, Les Tricheurs, 1595, huile sur toile, 94,2 × 130,9 cm,
musĂ©e d’art Kimbell, Fort Worth (États-Unis)

Ténébrisme et Clair-Obscur

On raconte que, lorsque le riche cardinal Del Monte remarque Les tricheurs dans une petite boutique locale, il offre Ă  son auteur de le prendre en rĂ©sidence Ă  Rome. Celui-ci saute bien Ă©videmment sur l’occasion et accepte.
Bien nourri pour la premiĂšre fois depuis des annĂ©es, son travail consiste Ă  exĂ©cuter des tableaux pour de hauts reprĂ©sentants de l’Église et diverses institutions religieuses romaines.

Le peintre Caravage développe alors rapidement son style, reconnaissable à ses interprétations théùtrales de thÚmes religieux traditionnels.

La vocation de Saint Matthieu par exemple, reprĂ©sente le moment oĂč, le Christ choisi le pĂȘcheur Matthieu comme disciple.
Le Caravage a situĂ© la scĂšne dans une taverne sordide oĂč 5 hommes sont assis autour d’une vielle table abimĂ©e. AccompagnĂ© par l’un de ses disciples, JĂ©sus se tient sur le pas de la porte et pointe Matthieu du doigt, qui dirige le sien vers lui-mĂȘme comme pour dire : « Qui ? Moi ?! Â».

Jusqu’ici, pour symboliser cette conversion, les artistes avaient toujours eu recours Ă  des anges en survol. Le Caravage, lui, trouve un moyen beaucoup plus simple d’exprimer la mĂȘme chose : la lumiĂšre indique que le pĂȘcheur est touchĂ© par la grĂące.
Cette lumiÚre, nait derriÚre le Christ et tombe sur Mathieu, tandis que les autres personnages restent plongés dans la lugubre pénombre.

Cette technique du Ténébrisme, fait de Caravage un peintre pionnier du Clair-Obscur un style caractérisé par des lumiÚres et des ombres trÚs marqués.

Le Caravage, La vocation de Saint Matthieu,
Le Caravage, La vocation de Saint Matthieu,
1600, huile sur toile, 322 × 340 cm,
chapelle Contarelli, église Saint-Louis-des-Français, Rome (Italie)

Le Caravage, peintre criminel

Le Drame

La rĂ©ussite n’eut aucun effet apaisant sur l’artiste. Bien au contraire. Elle lui permit seulement d’avoir plus de temps pour se fourrer dans de trĂšs gros ennuis.

Sa victime, Ranuccio Tommasoni, n’était pas non plus un enfant de chƓur et apparemment, il s’agissait mĂȘme d’un authentique bandit.

Les deux hommes se sont querellĂ©s Ă  propos d’une partie de jeu de paume (l’ancĂȘtre du tennis), ou d’un pari sur une partie de jeu de paume, ou bien prĂšs d’un lieu oĂč se dĂ©roulait une partie de jeu de paume.
Les dĂ©tails ne sont pas trĂšs clairs… mais, toujours est-il que, Tommasoni est tuĂ© lors d’une rixe impliquant une douzaine de personnes.
Des amis du Caravage, (qui fut lui-mĂȘme blessĂ©), rĂ©ussissent Ă  le faire sortir de la ville, mais ils ne peuvent empĂȘcher sa condamnation pour meurtre et la consĂ©quence de cette derniĂšre : la peine de mort.
À partir de lĂ , la tĂȘte du peintre est mise Ă  prix.

Caravage, le Peintre Chevalier

Le Caravage s’enfuit alors pour Naples, hors du territoire papal.
Il trouve refuge chez la marquise de Carravagio, qui l’a connu petit, Ă  l’époque oĂč il vivait en Lombardie. Elle ne l’a pas oubliĂ©.

Étrangement, la sociĂ©tĂ© napolitaine accueille l’incontrĂŽlable artiste Ă  bras ouverts et le traite plus comme une cĂ©lĂ©britĂ© de passage que comme un fugitif.
Cependant, le peintre Caravage ne tarde pas Ă  repartir, cette fois pour l’ile de Malte, connue pour son Ordre d’intrĂ©pides moines guerriers : « L’ordre de Malte« .
Ces preux chevaliers, dĂ©fendaient courageusement la MĂ©diterranĂ©e tout en ayant fait vƓux de chastetĂ©, d’obĂ©issance et de piĂ©tĂ©.

Le sulfureux peintre pensait probablement qu’ĂȘtre admis dans un ordre religieux l’aiderai Ă  obtenir la grĂące de Rome.
Peut-ĂȘtre avait-il des remords ?
La profondeur de ses tableaux dĂ©montre clairement qu’il Ă©tait plus qu’une simple brute et il est donc possible que sa conscience l’ait travaillĂ©.

Contre toute attente donc, Le Caravage devient Chevalier de Malte le 14 Juillet 1608 devant le retable qu’il avait peint durant son noviciat.

SituĂ©e dans l’oratoire de l’église, La DĂ©collation de Saint-Jean-Baptiste est la plus grande et la plus spectaculaire de ses Ɠuvres.
Elle reprĂ©sente le Saint jetĂ© Ă  terre, tandis que son bourreau se tient prĂȘt Ă  lui couper la tĂȘte. Du sang s’écoule de son cou, formant une flaque qui se rĂ©pand sur le sol du tableau, et oĂč l’on trouve la seule signature connue de Caravage, comme tracĂ©e dans le liquide rouge…

La DĂ©collation de saint Jean-Baptiste, Le Caravage
Le Caravage, La Décollation de saint Jean-Baptiste, (v. 1608), co-cathédrale Saint-Jean de La Valette.

À Malte, le peintre se comporte de façon irrĂ©prochable pendant plus d’un an, quand, au mois de septembre 1609, il se querelle avec un des chevaliers (dont on a aujourd’hui perdu le nom) et le blesse gravement.
On ignore quelles Ă©taient les motivations de l’artiste.
Selon l’un de ses premiers biographes, le peintre Caravage Ă©tait «  aveuglĂ© par la folie de se prendre pour un noble de naissance ».
L’artiste devenu moine fut donc envoyĂ© dans une cellule surnommĂ©e la ‘cage Ă  oiseaux’, un trou Ă  rats dans le sol calcaire de l’ile.
Officiellement, il se serait Ă©chappĂ© peu aprĂšs. Sauf que personne n’aurait pu s’échapper d’un telle geĂŽle sans aide ! Il semble donc clair que quelqu’un de puissant l’ait fait sortir de Malte.
Les Chevaliers quant à eux, l’ont formellement exclu de leur ordre.

Caravage: l’agression du peintre

AprĂšs ces aventures, le Caravage se retrouve en Sicile, oĂč lĂ  encore, il se comporte plus comme un dignitaire en visite que comme un fugitif


En 1609, il retourne soudainement Ă  Naples sous la protection de la marquise de Caravagio. On pense que quelqu’un Ă©tait Ă  ses trousses, probablement le chevalier qui avait Ă©tĂ© blessĂ© Ă  Malte.
Selon des comptes rendus de cette Ă©poque, Caravage portait toujours une dague sur lui, mĂȘme pendant son sommeil.

L’artiste aurait pu rester en sĂ©curitĂ© chez la marquise, mais il ne put rĂ©sister Ă  l’appel des tavernes de la ville
À l’entrĂ©e d’un Ă©tablissement trĂšs frĂ©quentĂ©, il se retrouve encerclĂ© par des hommes en armes qui le poignardent au visage et le laissent pour mort.
Le Chevalier a fini par avoir sa revanche.


La RĂ©silience ?

Le Caravage reste plusieurs mois en convalescence chez la marquise.
Ses blessures au visage l’ont rendu presque mĂ©connaissable, mais ne l’empĂȘche pourtant pas d’ĂȘtre plus crĂ©atif que jamais.
DĂšs qu’il est en Ă©tat de tenir un pinceau, Le Caravage commence de nouveau Ă  peindre.

Le tableau : David avec la tĂȘte de Goliath, est sans doute, l’Ɠuvre la plus envoutante qu’il rĂ©alise Ă  cette Ă©poque.
Émergeant d’une obscuritĂ© veloutĂ©e dans un faisceau de lumiĂšre, David tient un sabre Ă©tincelant dans une main et la tĂȘte du gĂ©ant Goliath, bouche bĂ©e et cou sanguinolent, dans l’autre.
Ce que ce tableau Ă  de vraiment insolite, c’est que les deux personnages sont des autoportraits de l’artiste : David est incarnĂ© par le jeune peintre Caravage, innocent et plein de promesses regardant tristement Goliath, reprĂ©sentĂ© sous les traits de l’artiste plus ĂągĂ©, le visage marquĂ© par les beuveries et les bagarres.

Tableau du peintre Le Caravage representant David avec la tĂȘte de Goliath
Le Caravage, David avec la tĂȘte de Goliath, 1606-1607, Peinture Ă  l’huile, 125 × 101 cm,
Galerie BorghĂšse

La mort du peintre

Quand la nouvelle arrive de Rome qu’on envisage de le gracier, Le Caravage se dit que l’avenir a peut-ĂȘtre encore quelque chose Ă  lui offrir.


À peine guĂ©ri, il dĂ©cide de rentrer Ă  Rome.
Il embarque alors sur un bateau lorsqu’une tempĂȘte oblige l’embarcation Ă  chercher abri dans une petite ville. LĂ -bas, le capitaine de la garnison locale le confond avec un bandit des environs et l’arrĂȘte.
Il fallut un bon pot-de-vin pour le sortir de lĂ , et quand se fĂ»t fait, le bateau Ă©tait dĂ©jĂ  parti en emportant tous les biens de l’Artiste.


Pour tenter de le rattraper, le peintre Caravage se mit en route dans la chaleur accablante de l’étĂ© italien.
On ne sait pas trĂšs bien ce qui s’est passĂ© ensuite.
Peut-ĂȘtre a-t-il contractĂ© la malaria ou une autre maladie, Ă  moins qu’il n’ait Ă©tĂ© encore affaibli par sa rĂ©cente agression. Toujours est-il que la fiĂšvre s’empara de lui et qu’il y succomba le 18 juillet 1610, Ă  l’age de 38 ans, en ignorant que Rome venait de finalement lui accorder sa grĂące.

La re-découverte

Du vivant de Caravage et immédiatement aprÚs sa mort, de nombreux artistes européens imitÚrent son réalisme et sa technique du Clair-Obscur.
Puis, les goĂ»ts changĂšrent, et quand arriva le XIXe siĂšcle, il Ă©tait totalement tombĂ© dans l’oubli.

Ses Ɠuvres avaient Ă©tĂ© dĂ©truites ou dispersĂ©es, souvent laissĂ©es Ă  l’abandon dans des collections privĂ©es ou des greniers.
Vers le milieu du XXe siÚcle, la notoriété du Caravage commença à se raviver.
Les prix de ses tableaux se mirent à augmenter et ce fut l’ouverture de la chasse aux Ɠuvres perdues.

Au dĂ©but des annĂ©es 1990, on a retrouvĂ© la Capture du Christ, un chef-d’Ɠuvre de 1602, accrochĂ© au mur d’un foyer JĂ©suite de Dublin, couvert de suie et attribuĂ© Ă  l’un des suiveurs mineurs de l’artiste.
Il s’agissait bel et bien d’un tableau Du Caravage oubliĂ©…

Le Caravage, L'arrestation du Christ
Le Caravage, L’arrestation du Christ, 1602, huile sur toile, 133,5 × 169,5 cm,
Galerie nationale d’Irlande, Dublin

Plus vrai que nature

Selon l’un de ses premiers biographes, Le Caravage « pensait que la nature Ă©tait le seul sujet digne de son pinceau ».
Il lui arrivait toutefois de pousser le réalisme un peu trop loin.

La résurrection de Lazare en constitue un des exemples les plus marquants.
On lui avait demandé de représenter une scÚne du Nouveau testament : le Christ ressuscitant Lazare, mort depuis 3 jours.
Soucieux de bien faire les choses, Le Caravage ordonna donc que l’on dĂ©terre un cadavre rĂ©cemment inhumĂ©. Il engagea deux ouvriers comme modĂšles et leur demanda de poser pour lui en tenant le corps dĂ©terrĂ©.
Au bout d’un certain temps, Ă©cƓurĂ©s par la puanteur du cadavre, les modĂšles le laissĂšrent tomber sur le sol. Caravage, furieux, sortit alors sa dague et leur intima de le ramasser.
Ne doutant pas qu’il Ă©tait capable d’user de son arme, ils se pliĂšrent Ă  sa volontĂ©.
C’Ă©tait ça le style Caravage.

Pourquoi tant de haine ?

Il n’est guĂšre surprenant que la violence tienne une si place importante dans l’Ɠuvre du Caravage. Certains spĂ©cialistes s’accordent d’ailleurs pour dire qu’il ne s’agit que du simple reflet de l’Ă©poque de l’artiste.
Les mises à mort, les pendaisons, décapitations, écartÚlements et les bastonnades cautionnées par le gouvernement étaient monnaie courante dans la Rome du XVIIe siÚcle.

NĂ©anmoins, il est tout de mĂȘme Ă©trange que la dĂ©capitation soit l’un des thĂšmes rĂ©currents du peintre. Pas moins de 12 de ses tableaux reprĂ©sentent des personnes dĂ©capitĂ©es ou sur le point de l’ĂȘtre.


Avec une telle particularitĂ©, les spĂ©cialistes versĂ©s dans la psychologie ont pu s’en donner Ă  cƓur joie et la plupart on prit pour point de dĂ©part l’équation de Freud : dĂ©capitation = castration.
Toutefois, dans le domaine de l’Alchimie (une discipline que Le Caravage a Ă©tudiĂ©), la dĂ©capitation symbolise la sĂ©paration de l’Âme avec le monde matĂ©riel.
Par consĂ©quent, l’artiste exprimait peut-ĂȘtre un sentiment d’aliĂ©nation et la recherche d’une certaine intĂ©gritĂ©.
MystĂšre…


Aujourd’hui, le peintre Caravage est autant apprĂ©ciĂ© pour son rĂ©alisme saisissant et sa profondeur Ă©motionnelle, que pour avoir eu une existence digne d’un vĂ©ritable Gansta Ă  la sauce Baroque.
On adore.

À bientît pour la suite,
Joanaa

Source

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