CÉZANNE : la vie d’un peintre incompris

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Précurseur du post-impressionnisme et du cubisme le peintre Cézanne est considéré comme le père de l’Art Moderne.
Mais qui était Paul Cézanne ? Que sait-on réellement de sa vie ?
Découvrez dans ce cours, l’hist
oire d’un artiste de génie, incompris de ses contemporains.

Cézanne : un étrange personnage

Dans le Paris des années 1870, si vous vous rendiez au Café Guerbois vers 17 heures vous aviez des chances de tomber sur le charmant Édouard Manet en pleine conversation intellectuelle avec l’homme d’esprit qu’était Edgar Degas et le pétillant Claude Monet.

Parfois, un autre artiste se joignait au groupe, mais il se contentait de s’asseoir et de lancer des regards noirs par-dessus son verre.
Alors que Manet et les autres avaient ôté leurs vêtements de travail et passer leur tenue de soirée, le nouvel arrivant se présentait en blouse maculée de peinture avec son pantalon maintenu par un bout de ficelle.
Pendant que tout le monde discutait, le peintre renfrogné gardait un silence menaçant.
Puis d’un coup, sans prévenir, il descendait sa boisson d’un trait et s’écriait : « L’esprit m’emmerde ! » en quittant les lieux tel un ouragan.

Vous veniez de rencontrer Paul Cézanne.



Cézanne : Peintre à fleur de peau

On connait l’œuvre du célèbre peintre, mais on connait moins le personnage qu’il était.

D’après les descriptions que ses proches firent de lui, le peintre Paul Cézanne était un homme mystérieux qui manquait terriblement de confiance en lui.

L’artiste mesure 1,75 m, il est d’un « tempérament doux comme un enfant », parle avec un fort accent provençal, nasillard et roulant les r et redoublant les m si violemment qu’il en fait « littéralement vibrer la vaisselle. »
« D’une timidité souffrante » selon le mot de Zola, pudique jusqu’au malaise, Cézanne pouvait être très narquois et ironique, mais aussi sujet à de brusques colères.
S’il était touché ou effleuré par inadvertance, ses réactions pouvaient être violentes.

En effet, Cézanne ne supportait pas qu’on le touche.
Il refusait d’ailleurs de serrer la main des autres artistes et évitait presque toute forme de contact physique avec qui que ce soit.
Cette phobie augmenta avec l’âge, jusqu’à parfois atteindre des proportions extrêmes.
Un jour, alors qu’il montait une colline escarpée avec son ami Émile Bernard, le peintre Cézanne trébucha et faillit tomber.
Son camarade le rattrapa de justesse par le bras.
Dès qu’il eut retrouvé son équilibre Cézanne se dégagea et s’éloigna en furie en lui criant avec force : «  Je n’autorise personne à me toucher ! »
Dans la soirée, Cézanne se rendit chez le jeune homme pour prendre de ses nouvelles et bavarder un peu. Bernard compris alors que c’était sa façon à lui de lui présenter des excuses.


« Le monde ne me comprend pas, et moi, je ne comprends pas le monde. »

Paul Cézanne
Auto-portrait du peintre Paul Cezanne
Auto-portrait de l’Artiste


Jeune, Cézanne avait beaucoup de mal à trouver des gens pour apprécier son art et encore plus pour acheter ses œuvres.
Un jour, alors qu’il marchait dans une rue de Paris, un passant demanda à voir le tableau qu’il portait sous le bras.
Le peintre posa donc son paysage contre un mur.
Le jeune homme adora le vert des arbres et déclara qu’il « pouvait presque sentir leur fraîcheur ».
Ébahi Cézanne lui dit : « Si vous l’aimez il est à vous ». L’inconnu expliqua qu’il n’avait pas d’argent, mais l’artiste insista vivement pour qu’il prenne la toile et couru annoncé la bonne nouvelle à Monet et Renoir : « Il avait vendu son premier tableau ». !!

Cézanne : Les origines du peintre


Paul Cézanne voit le jour à Aix-en-Provence, le 19 janvier 1839 dans une famille très aisée.
C’est un enfant né hors mariage de Louis Auguste Cézanne, âgé de 40 ans, qui le reconnaît, et d’Anne Élisabeth Honorine Aubert, ouvrière chapelière de 24 ans.


Au collège, il fait la rencontre du futur écrivain Émile Zola, avec qui il liera une longue amitié.

Un psychologue trouverait probablement les origines d’une grande partie des problèmes personnels de Paul Cézanne du côté de son père dominateur.
En effet, Louis-Auguste Cézanne à l’arrogance et la pingrerie, d’un homme qui s’est fait tout seul.
Tyran de bas étage, il rabaisse constamment son épouse et attend une obéissance absolue de ses enfants.

Le jeune Paul Cézanne dût certainement rassembler tout son courage pour lui annoncer qu’il veut étudier l’Art à Paris alors que son père le destine à reprendre la banque qu’il a fondée dans le sud de la France.

Après 3 ans de dispute, en 1860, Louis-Auguste finit par céder, peut-être en prenant conscience que son fils n’a pas la moindre once du sens des affaires.

Cézanne part alors étudier la peinture à Paris, grâce à la pension que lui versent ses parents.
Refusé aux Beaux-Arts (en raison d’un ‘tempérament coloriste jugé excessif’), il rentre à Aix, puis retente sa chance sur la capitale dès 1862.
Il étudie ensuite à l’Académie Suisse, où il rencontre d’autres peintres comme Claude Monet, et Auguste Renoir. Il passe aussi beaucoup de temps au Louvre où il copie avec un grand intérêt les œuvres de Delacroix, Courbet, Rubens ou encore Velázquez.
C’est désormais certain : Paul Cézanne veut et va devenir peintre.

Marie-Hortense : l’amour caché

Vers la trentaine, Cézanne entame une relation avec une jeune couturière de 19 ans, du nom de Marie-Hortense Fiquet. Elle devient rapidement son modèle et sa compagne.
En janvier 1872, elle lui donne un fils qu’ils appellent également Paul.

Le peintre peindra 45 portraits d’Hortense pendant sa vie.

Portrait d’Hortense

Cézanne tenait absolument à ce que son père ignore l’existence de sa compagne, car il était convaincu que s’il l’apprenait il cesserait immédiatement de lui donner de l’argent.
Il devait donc se débrouiller à faire vivre 3 personnes avec une somme prévue pour une seule.

Le coup de pouce de Pissarro

Par chance, dans la même période, Pissarro invite la petite famille à le rejoindre dans le village qu’est alors Pontoise et où il vit à moindre frais.
Il fait également découvrir la peinture en plein air à Cézanne et les deux hommes se mettent à travailler côte à côte.

L’influence de Pissarro se ressent dans les couleurs lumineuses et la légèreté du coup de pinceau de l’un des premiers chefs-d’œuvre de Cézanne, la maison du pendu.

Malgré l’utilisation des techniques impressionnistes, la toile fait preuve de la solidité caractéristique de l’artiste : il cherche plus à rendre les formes des maisons en trois dimensions que les effets de la lumière naturelle.

Peintre Paul Cézanne, La Maison du pendu
Paul Cézanne, La Maison du pendu, vers 1874, huile sur toile, 55×66 cm



En 1874, Cézanne revient à Paris à la demande de Pissarro, pour participer à la première exposition Impressionniste, organisée par Nadar, en 1874.

Pissarro a insisté pour que Cézanne en fasse partie, malgré les autres artistes qui le considèrent alors comme une source de problème potentielle.

Le peintre Cézanne y présente trois toiles : Une moderne Olympia (une parodie de l’Olympia de Manet), La Maison du pendu et Étude, paysage d’Auvers.
Les visiteurs sont scandalisés par ses tableaux.
Ses confrères artistes prennent son Olympia comme une provocation délibérée et beaucoup remettent son talent en question.

Une moderne Olympia du peintre Cézanne
Dans Une Moderne Olympia, Cézanne parodie la célèbre œuvre de Manet « l’Olympia »



Profondément peiné par cette incompréhension Cézanne choisit de rompre définitivement avec le milieu impressionniste parisien et repart brusquement pour sa Provence natale.


Quelques années plus tard, la profonde amitié qui liait Cézanne et Zola depuis leur rencontre sur les bancs du collège, prend subitement fin.
La cause de leur désaccord est la publication par Émile Zola de L’Oeuvre, en 1886.
Le romancier y décrit l’histoire d’un peintre raté et incompris qui finit par mettre fin à ses jours. Le peintre Paul Cézanne croit se reconnaître dans ce portrait. Vexé, il coupe subitement les ponts avec son ami d’enfance.

Le Secret enfin révélé

Vers la fin des années 1870, après 10 ans de vie commune, le père de Paul Cézanne n’est toujours pas au courant de la relation de son fils avec Hortense…

Quand l’artiste, part dans le sud durant l’hiver 1878, il installe sa compagne et son fils à Marseille pendant qu’il loge chez ses parents.
C’est durant cette période qu’il commence son cycle de peintures sur la montagne Sainte-Victoire, qu’il représente dans près de 80 œuvres (pour moitié à l’aquarelle).

Paul Cézanne – Montagne Sainte-Victoire (1887) – Courtauld Institute of Art – Londres (Courtauld Institute of Art – Londres)



Un jour, Louis-Auguste, qui avait l’habitude d’ouvrir le courrier de tout le monde, tombe sur une lettre en provenance de Paris, dans laquelle il est fait mention de Madame Cézanne et du petit Paul.
Il questionne alors son fils qui nie tout en bloc.

Un autre courrier arrive, cette fois adressé à Hortense par son père.
Louis-Auguste interroge une nouvelle fois le peintre qui réfute encore tout.
Alors, sans raison apparente, Louis-Auguste offre 300 Fr. à son fils.

Il avait lu la lettre dans laquelle, le père d’Hortense, qui était malade, y suppliait sa fille de lui rendre visite, il espérait donc que l’argent servirait à payer son voyage.
Après tout, il était, lui aussi un père et il en avait probablement assez des petits jeux de son fils.

Enfin, la famille fait la connaissance d’Hortense et le couple se marie officiellement en 1886.
Louis-Auguste meurent peu après. Cézanne recueille alors un héritage de plusieurs milliers de francs-or, qui le met à l’abri financièrement pour le restant de sa vie.

Le Travail du peintre Paul Cézanne

Cézanne passe le plus clair de son temps en Provence.
Il travaille lentement et péniblement, raclant souvent toute la peinture de ses toiles pour tout reprendre du début.
Il lui arrive parfois même d’exploser et de déchirer au couteau à peindre ses tableaux.

Ses amis retrouvent fréquemment ses toiles lacérées ou pendues dans les arbres où elles ont atterri quand il les lancent par la fenêtre.

Le peintre Cézanne peignait des séries du même motif un nombre incalculable de fois, qu’il s’agisse d’un paysage, d’un portrait ou d’une nature morte jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il avait en tête.

Nature morte avec pommes et tube de peinture (1873-77), Huile sur toile, 24 x 16 cm

Les natures mortes sont un des grands thèmes qui permettent au peintre Paul Cézanne de construire ses tableaux, d’approfondir les rapports entre les vides et les pleins, les figures et les fonds.

Pour Cézanne, la nature morte est un motif comme un autre, équivalent à un corps humain ou à une montagne, mais qui se prête particulièrement bien à des recherches sur l’espace, la géométrie des volumes, le rapport entre couleurs et formes : « Quand la couleur est à sa puissance, la forme est à sa plénitude », disait-il.

Dans ces natures mortes, Cézanne place des objets de peu, faits à la main par l’artisanat local et paysan, et il les peint plus grands que nature en en accentuant les défauts, avec des torchons, nappes, fruits ou fleurs, le tout placé sur un coin de table.
Les pommes sont un des éléments, avec les vases, qui forment ses « obsessions picturales ».

Incomprises en leur temps, ses natures mortes sont ensuite devenues l’un des traits caractéristiques de son génie.

Cézanne a peint environ 900 tableaux et 400 aquarelles qui nous restent aujourd’hui, dont certains sont inachevés. Il a également détruit une bonne partie de son œuvre.

Cézanne, Flasque, verre et poterie, 1877

Les natures mortes de Cézanne

Si Cézanne aimait tant peindre des natures mortes, c’était surtout parce que selon lui, les êtres humains posaient trop de problème.

Il exigeait en effet de ses modèles qu’ils restent parfaitement immobiles et silencieux pendant des heures d’affilée.
Alors qu’il faisait le portrait d’Ambroise Vollard, il l’obligeait à chaque séance à rester assis sur une chaise de cuisine posée sur une malle branlante de 8h à 23h30 sans la moindre pause, et ce, dans un silence le plus absolu.
Un jour, le marchand d’art s’assoupi et perdu l’équilibre.
L’homme et la chaise se retrouvèrent parterre à côté de la malle.

« Malheureux ! Vous avez dérangé la pose ! On doit poser comme une pomme. Est-ce que ça remue, une pomme ? […].


Suite à cet incident, Vollard buvait d’énormes quantités de café noir avant de poser.
Après plus d’une centaine de séances, Cézanne décida de s’en tenir là.
Quand Vollard lui demanda s’il était satisfait de son travail, le peintre lui répondit : « Je ne suis pas mécontent du devant de la chemise… »

Le succès du peintre Cézanne

Puisque l’artiste était toujours refusé au Salon de Paris et s’était séparé des impressionnistes, peu de gens connaissaient ses toiles les plus récentes.
Le vent tourne en 1895, quand le marchand d’Art Ambroise Vollard lui organise une exposition individuelle.
Mais avant cela, il avait fallu le dénicher.
Après avoir passé tous les villages au peigne fin et erré dans les rues de Paris, le galeriste avait fini par trouver Hortense qui l’avait mis en relation avec son voyageur de mari.

Les quelque 150 toiles présentées lors de l’exposition génèrent un grand nombre de réactions hostiles de la part du public.
On y entendit par exemple, une femme fustiger son mari : « Comment pouvez-vous me punir ainsi ? » Toutefois, les toiles de Cézanne obtiennent aussi des critiques positives dans la presse.

De leur côté, les anciens confrères impressionnistes du peintre Cézanne sont médusés par son travail. Pissarro écrit : « Mon enthousiasme n’est rien à côté de celui de Renoir. Même Degas a succombé au charme de sa sauvagerie raffinée.« 

La génération artistique suivante l’appréciât plus encore.
Certains essaient même de devenir ami avec lui, ce qui était une opération risquée étant donné que Cézanne se méfiait de ses admirateurs.

Un jour, le fils d’un vieil ami à qui on venait de le présenter, lui bredouilla combien il appréciait son œuvre. Cézanne frappa alors son poing sur la table et lui cria : « Ne vous moquez pas de moi, jeune homme !! » Puis, il changea brutalement d’attitude et expliqua, l’air penaud : « Il ne faut pas m’en vouloir, comment croire que vous voyez quelque chose dans ma peinture, alors que tous ces idiots qui écrivent des absurdités sur mon compte n’ont jamais rien été capables d’y percevoir ? »


À la fin de sa vie, le peintre est reconnu comme étant à l’avant-garde du mouvement cubiste, par la synthèse des sujets qu’il représente ainsi que leur géométrisation sur la toile.
Dans certains de ses derniers tableaux comme Nature Morte au Rideau et Pichet Fleuri (1895), il multiplie les points de vue, une technique ensuite développée par les cubistes, notamment par Pablo Picasso.

Paul Cézanne, Nature morte avec rideau et pichet fleuri, 1899

La mort du peintre Paul Cézanne

Cézanne passait son temps à vagabonder en Provence ou à travailler dans l’isolement de son atelier. Un jour d’octobre 1906, il partit comme d’habitude avec sa musette de vivre et ses couleurs quand un gros orage éclata.

Pris d’un malaise, Cézanne glissa et chuta alors sur la route.
Il se releva et entrepris de rentrer chez lui, mais la force lui manqua et il s’effondra de nouveau restant plusieurs heures sous la pluie.

Un charretier qui passait par là, l’aperçu étendu à demi-conscient et le ramena chez lui.
La pneumonie qu’il attrape alors, à l’âge de 67 ans lui est fatale.
Il meurt, le 22 octobre 1906 avant qu’Hortense et son fils n’eurent le temps d’arriver de Paris.

Les artistes Français pleurèrent ce visionnaire unique et les peintres de la génération suivante trouvèrent en lui une mine d’inspiration.
Henri Matisse adapta sa façon d’utiliser la couleur et Pablo Picasso développa celle dont il exprimait le volume et la forme.
D’ailleurs, l’artiste espagnol expliqua plus tard qu’il avait eu une influence majeure sur son art : « Mon seul et unique maître Cézanne était comme notre père à tous » dira-t-il.



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À bientôt pour la suite,
Joanaa

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