Connaissez-vous le rapport entre le Roi Soleil, la Montgolfière et un trafic d’œuvres d’Art au Louvre  ??!
Découvrez dans ce cours, l’histoire fascinante du papier Canson : la véritable saga d’une famille haute en couleurs qui a marqué l’histoire.

Il était une fois…

Selon la légende, les origines de l’histoire du papier Canson, remonteraient à Jean Montgolfier, fait prisonnier lors des Croisades en Syrie, au XIIe siècle.
C’est dans ces contrées lointaines qu’il aurait appris l’Art de fabriquer le papier.
Après son évasion, Jean parvient à revenir en France, ramenant avec lui le secret en Europe.
Il s’installe en Auvergne, dans la production de papier alors en plein essor, qui remplace petit à petit le parchemin de l’époque.

Bien plus tard, en 1557, au moment où les tensions règnent entre catholiques et protestants, le descendant de Jean Montgolfier : Jacques, quitte son Auvergne natale pour s’établir en Beaujolais.

Naissance d’une Saga 

En 1689, Antoine Chelles, un ami de la famille Montgolfier acquiert le moulin de Vidalon-lès-Annonay en Ardèche.
Cette papeterie est installée, sur le bord de la Deûme, rivière qui descend du Mont Pilat et dont l’eau claire permet de fabriquer des pâtes à papier bien blanches.

Le nouveau propriétaire ayant besoin de bras, son ami Jacques Montgolfier lui envoie ses deux jeunes fils en renfort : Michel et Raymond.
Sur place, les deux garçons tombent rapidement amoureux des filles du maître des lieux et, deux semaines plus tard, épousent Françoise et Marguerite Chelles.

C’est grâce à cette alliance que la célèbre marque commence à faire parler d’elle…

Inventeurs de père en fils

De génération en génération, la fabrique de papier se développe.
Pierre Montgolfier (1700-1793), fils de Raymond, est un industriel tourné vers l’avenir et la modernisation de la profession.
C’est un des premiers papetiers Français à installer des piles à cylindres hollandais pour remplacer les antiques maillets.
Sous son action, les moulins de Vidalon connaissent un essor considérable.

Parmi les seize enfants de Pierre Montgolfier, se trouve Joseph, lui aussi à l’origine de nombreuses innovations. Il invente notamment le bélier hydraulique, qui permet d’élever l’eau « à toutes les hauteurs et d’un seul jet » sans utiliser d’autre force motrice.
L’industrialisation est en marche et les Montgolfier sont bien décidés à faire figure de pionniers dans leur domaine.

L’envol des Montgolfier

Mais ce n’est pas tout.

Le 14 décembre 1782, un étrange sac de papier enfle au-dessus d’un feu dans la cour de la manufacture de Vidalon.
Bientôt, il se redresse, s’élève, s’envole et gagne les cieux.
Après avoir traversé la rivière, il se pose en douceur sur le coteau.
Vous l’aurez deviné ! Joseph et Etienne Montgolfier viennent tout simplement d’inventer la Montgolfière !

Après plusieurs améliorations, l’expérience sera renouvelée le 4 juin 1783 devant le public et les représentants des Etats du Vivarais à Annonay, avant une démonstration parisienne le 19 septembre 1783 devant la cour du Roi Louis XVI.
On ne fait pas les choses à moitié chez les Montgolfier !

Une manufacture Royale en Ardèche

Le papier Canson continue de marquer l’histoire.
En 1783, le Roi Louis XVI anoblit Pierre Montgolfier et sa famille pour les nombreuses innovations et perfectionnements dont ils font bénéficier l’industrie papetière.
L’année suivante, la papeterie des Montgolfier se voit décerner le titre de Manufacture Royale.
Ce titre tant convoité par tous les papetiers du royaume revient à ceux dont le potentiel d’innovation les a classés en tête de la profession, il assure également le manufacturier contre toute concurrence déloyale ou usurpation de marque.

C’est également à cette occasion que la papeterie, créée ses armoiries : le damier sang et or d’Annonay, la montgolfière et la devise « Ite per orbem » (« Allez par le monde« ) qui évoque la diffusion déjà internationale des papiers Montgolfier.

La succession De Canson

L’histoire du papier Canson continue sur son inarrêtable lancée.

Nous sommes maintenant en 1801. Etienne de Montgolfier est mort depuis deux ans. Son gendre, Barthélemy Barou de la Lombardière de Canson lui succède.

L’entreprise change de nom en devenant « Montgolfier et Canson », puis « Canson-Montgolfier » en 1807.

Barthélémy de Canson développe les manufactures et met au point de nombreux procédés techniques : il crée les premiers papiers colorés, la machine à papier en continu, la papier infalsifiable, la caisse aspirante pour accélérer l’égouttage de la feuille en formation, le collage en pâte…

Pour fêter les 250 ans de la fabrique en 1807, il invente aussi le papier calque (appelé autrefois papier végétal à calquer). Une révolution à l’époque.

En 1853, les papeteries Canson ajoutent encore une étoile à leur palmarès en créant un papier photographique positif et négatif, pour lequel de nombreux brevets seront accordés en France et à l’étranger. Ce procédé simplifie les opérations de tirage tout en étant d’un coût inférieur et en permettant des noirs de qualité.

Les anciennes papèteries Royales de Vidalon ont été transformées en musée.
💡 Le musée des papeteries Canson et Mongolfier propose des visites guidées passionnantes, machines d’époques et ateliers de fabrication de papier pour les enfants et les adultes.
Une ballade à ne pas louper si vous êtes dans les environs d’Annonay en Ardèche (07). 😉

Le carton à dessin Annonay

Vers 1820, la papeterie Canson invente également une nouvelle technique décorative des papiers dit « faux–marbrés » consistant à projeter directement la couleur sur une feuille à l’aide d’une brosse de chiendent, puis de faire sécher la feuille à plat.
Ces papiers élégants étaient très utilisés pour la reliure des livres et des registres.
Le motif « Annonay » orne encore aujourd’hui les célèbres cartons à dessin verts toujours utilisés massivement par les artistes.
Merci Canson.

Canson et les artistes

Le Vergé d’Ingres

L’histoire du papier Canson est étroitement liée à celles des artistes.
La papeterie fabrique spécialement pour Jean-Auguste-Dominique Ingres, (un ami de la famille), un papier à dessin vergé sur mesure.

Le Papier MontVal

Début 1900, trouver un papier de chiffon de qualité supérieure devient de plus en plus difficile.

En 1910, le célèbre peintre et sculpteur Aristide Maillol charge son neveu Gaspard de lui faire fabriquer de belles feuilles pour ses bois gravés.
Gaspard Maillol, installe sa petite fabrique dans le hameau de Montval près de Marly-le-Roi. Il se met au travail, mais la guerre de 1914-1918 interrompt ses travaux. Il part au front.
À son retour en 1919, Gaspard Maillol s’aperçoit que son matériel a été dispersé.
Il se tourne alors vers les papeteries Canson et Montgolfier pour lui fabriquer le papier Montval^® au filigrane à la baigneuse. Ce célèbre papier aquarelle fait toujours partie de la gamme de l’entreprise aujourd’hui.

✔ Beaucoup de grands artistes ont utilisé les papiers Canson : Ingres, Delacroix, Edgar Degas, Joan Miró, Fernand Léger, Marc Chagall, Kandinsky, Matisse, Braque, Picasso…

Le XXe siècle : « Ite per orbem »

Fidèle à la devise de leur Blason Royal « Ite per orbem » (« Allez par le monde »), en 1926, Canson se développe à l’international en créant une filiale à New York (aujourd’hui à South Hadley, Massachusetts).

La pochette Canson :

Qui n’a pas dessiné sur une feuille de papier Canson à l’école ? Sorti de sa fameuse pochette !

En 1947, la célèbre pochette vient de naître, celle qui résiste aux temps et aux modes. Elle est encore une référence pour les écoliers d’aujourd’hui.

L’héritière Canson dépouillée : la saga continue

Au milieu des années 80, la famille Canson fait de nouveau parler d’elle.
La mort de Suzanne Barou de la Lombardière de Canson déclenche l’affaire Canson.
En septembre 1986, l’héritière de la famille meurt dans une villa du Sud de la France où elle finit sa vie maltraitée et volée, par sa « dame de compagnie » Joëlle Pesnel dans des circonstances particulièrement sordides (séquestrée et privée de nourriture).
Peu avant sa mort, elle signe un testament désignant Joëlle Pesnel comme la légataire universelle de sa fortune (que l’on estime aujourd’hui à plus de 75 Millions d’euros) constituée en majeure partie d’œuvres d’art et d’antiquités.

A la suite de ces tragiques évènements, la soeur de Suzanne, Jeanne, tente de récupérer un des précieux tableaux vendu au Louvre par Joelle Pesnel.

Malheureusement, les transactions multiples et obscures autour de ce chef-d’œuvre lui ont rendu la tâche bien trop complexe.
Le tableau a transité en Suisse grâce à de faux documents, puis d’autres avocats sont intervenus pour opacifier les transactions jusqu’à une tentative de vente avortée par la maison de vente anglaise Christie’s, qui a ouvertement menti sur la provenance de l’œuvre en acceptant de modifier le patronyme Canson en Cansou.
En France, l’administration du Louvre découvre que l’œuvre est sortie illégalement du territoire et intervient pour faire annuler la vente prévue à Londres. Le musée négociera en secret l’achat de l’œuvre avec Joelle Pesnel par l’intermédiaire de la maison de vente, pour la modique somme de 760 000 euros, alors que celle-ci était estimée à plusieurs Millions.

S’en suivra un scandale dans le monde feutré du marché de l’art : Le Louvre niera avoir eu connaissance de l’origine douteuse de l’œuvre, alors que sa présence dans la prestigieuse collection Canson était connue de tous. Après une longue période de croisade judiciaire, le musée obtiendra gain de cause en se voyant reconnaitre sa bonne foi.

Une histoire digne d’un roman noir mêlant argent, violence et trafic d’œuvres d’art.
Quant au tableau de Murillo, aujourd’hui nommé « Portrait de Fernandez de Velasco », il est exposé au Louvre, salle 718.
Vous ne le regardez plus jamais de la même façon à présent.

Canson : rachats et fusion

En 1956, Blanchet et Kléber de Rives rejoignent les papeteries Johannot d’Annonay, d’Arches et du Marais pour former Arjomari (ARches, JOhannot, MArais, RIves).
En 1976, la société Arjomari devient l’actionnaire majoritaire de Canson & Montgolfier.
En 1990, Arjomari fusionne avec le groupe Wiggins Teape Appleton pour donner naissance au groupe ArjoWiggins.

En 2007, Canson passe sous le giron du groupe papetier français Hamelin déjà propriétaire des marques Oxford et Elba, et spécialisée dans les articles de classements, les cahiers et le dessin et les arts graphiques.

En 2016, Canson est revendu au groupe italien Fila (articles d’écritures, de dessin) au prix de 85 millions d’euros.
Au travers de cette acquisition, le groupe italien côté à la bourse de Milan (275 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015 avec 6 000 salariés, 14 unités de production et 22 filiales dans le monde) consolide sa position dans le secteur des beaux-arts (ayant aussi repris les firmes anglaises Saint-Cuthberts et Daler-Rowney).

Marques et produits

De nombreux produits ont été créés par l’entreprise au cours de ses 450 années d’existence :

• L’Aquarelle Canson Heritage : papier aquarelle 100% coton, créé en 2016 fabriqué sur forme ronde.
• Montval : une gamme de produits pour l’aquarelle et les éditions d’art
• Moulin du Roy : une gamme de produits pour l’aquarelle 100% coton
• Mi-Teintes : un papier couleur notamment utilisé par les pastellistes et les écoliers. Il doit son nom aux couleurs mises au point en demi-teintes, afin d’augmenter la variété de la gamme.
• Ingres Vidalon : tiré du papier vergé fabriqué pour l’artiste
• Lavis technique : papier lisse pour le dessin de précision au crayon et à la plume et le lavis à l’encre de Chine
• C à Grain : un papier au grain fin pour le dessin au crayon et à l’encre ou la gouache selon les différents grammages.
• 1557 : un papier au grain léger pour le dessin
• Figueras : un papier pour la peinture à l’huile
• Infinity : des papiers pour l’édition et la photographie d’art numérique
• XL : des carnets pour les étudiants

Canson et le Louvre

Depuis 2010, Canson est mécène du musée du Louvre.
L’entreprise soutient le site Internet du musée et la numérisation de la collection du département des Arts Graphiques. Elle a également mécéné une exposition présentée par le Louvre et Canson de juin à septembre 2011 Le Papier à l’œuvre, sur le thème du papier, de ses interactions avec les artistes et des grandes techniques du travail du papier.
Plusieurs œuvres sur papier Canson étaient présentées comme le Nu bleu IV de Henri Matisse et Combustion, mèche noire et traces de brûlures sur papier Canson II de Christian Jaccard.

En 2017, grâce au mécénat Canson, le pastel Le portrait de la marquise de Pompadour de Quentin de la Tour est restauré.

Ainsi apparaît dans l’histoire du papier, ce nom de Canson devenu mythique pour les artistes et amateurs de beaux papiers du monde entier.
Fabuleuse cette histoire n’est-ce pas ?!

Pour en savoir plus sur le sujet « Papier » consulter le cours suivant :
Dessin : quel papier choisir ?

À bientôt pour la suite,
Joanaa